De la pratique de l’improvisation théâtrale

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Salut mon cœur.

Cette année « scolaire », de 2022 à 2023, j’ai participé à un atelier d’improvisation théâtrale au sein de l’association/école d’improvisation le projecteur d’instants de Auch.

C’est ma seconde année, sachant que la première a eu lieu pendant la période Covid et a été relativement écourtée.


L’improvisation théâtrale, comme son nom l’indique, est du théâtre basé sur le fait d’improviser.

On joue, des personnages, en scènes vivantes (par opposition à la télévision/cinéma), le tout sans texte écrit au préalable et appris par cœur, ni avoir déterminé des personnages et/ou des situations avant de se retrouver en scène à jouer.

Tout ceci est improvisé, et les situations et les personnages viennent, dans l’instant.

Étant humains et amateurs, nous avons bien évidemment des personnages « confortables » vers lesquels on peut tendre à revenir naturellement. Des habitudes de jeu, une zone de confort.

Cependant, la base de l’impro, c’est d’être à l’écoute de ce que les autres comédiennes et comédiens proposent et de les intégrer à l’histoire et à nos propres propositions. Et réagir/jouer, avec le ressenti du personnage que l’on est en train d’incarner, et en train de découvrir nous-même.

Cela donne lieu à pas mal de rigolade pour le public, ça peut tomber assez aisément dans l’absurde.
Mais il est également possible de se retrouver devant des scènes très émouvantes, avec des personnages touchants, émus, émouvants voir bouleversants. Des situations qui nous touchent jusqu’aux larmes même en tant que spectatrice/spectateur.

L’impro c’est une forme d’art formidable de par toute cette richesse.


L’outil de base qui permet cela est la plateforme.

Pour toute improvisation, toutes les comédiennes et les comédiens savent qu’il faut la mettre en place, rapidement.

Poser la relation entre les personnages: qui est quoi pour qui.
Poser le lieu où la scène se déroule: cela informe beaucoup d’éléments de jeu et clarifie la situation.
Enfin, poser les enjeux: pourquoi cette scène a lieu pour ces personnages.

Avec tous ces éléments posés, on sait alors qui a quelle place au départ, quelle peut être l’attitude, les ressentis des uns vis à vis des autres. L’intention, ce qui a pu motiver d’en arriver à la situation présente.

Et de là, les choses peuvent évoluer. Naturellement.

On joue les ressentis du personnage. Par rapport aux autres personnages. Par rapport à ce qui se dit.
Par rapport aux différentes relations, formes de dialogues, formes de domination ou de soumission (ce que l’on appelle le statut des personnages).

Par exemple, en théâtre classique, un personnage de valet aura un statut faible par rapport à son maître de statut haut. Et on a tendance à naturellement jouer et faire basculer ce statut une à plusieurs fois en impro.


Avant de jouer une scène, les comédiennes et comédiens peuvent se « doter », c’est à dire, choisir un sentiment, une émotion qu’ils joueront au sein de la relation avec l’autre/les autres personnages en début de scène. Cette émotion pourra ensuite évoluer, selon les dialogues, rapports de statut, et la personnalité des personnages. Un personnage de bas statut soumis face à un personnage de haut statut peut finir par éclater de colère et « dire ses 4 vérités » au vilain.

Habituellement c’est une belle catharsis pour le public qui voit David prendre le dessus sur Goliath, et Goliath s’effondrer, s’effacer et devenir minuscule face à David.


Les comédiennes et comédiens peuvent essayer de déterminer un élément du passé de leur personnage qui aura une influence sur la situation actuelle. Ils peuvent forcer un trait physique, un bras ballant, une jambe traînante, ce qui influencera fortement le personnage qu’ils incarneront et la perception de ce dernier par le public.


L’improvisation est sans filets. L’erreur est permise, même encouragée et il arrive souvent que les autres camarades de jeu rattrapent un dérapage, aident à la reprise du fil de la construction de la scène, aident à donner du sens, ou tout simplement jouent le jeu de l’absurde, pour la grande joie et les rires du public complice.

Une bafouille, un mot écorché, un sourire échappé peut donner une direction complètement différente et inattendue à une relation, à une scène.

L’idée est de dire « oui, et ».
On accepte ce que l’autre a proposé, et on y ajoute même, pour construire ensemble.


Ainsi, dans l’atelier hebdomadaire auquel j’ai participé cette année nous avons travaillés tous ensemble cette pratique.

L’animateur de notre atelier prenait un malin plaisir à nous « vriller » le cerveau a l’aide d’exercices et de jeux de groupes, fait pour aller à l’encontre de la logique, et accepter le laisser aller et le risque qui y est inhérent.

Une forme de reprogrammation volontaire du cerveau, pour l’obliger à accepter des situations où il n’est pas « en contrôle ». L’improvisation vient beaucoup des tripes et du cœur.

Le cerveau est évidemment utilisé, mais il n’est pas seul, et j’ai remarqué que lorsque mon cerveau était le moteur de mon jeu d’acteur, alors ma performance était assez pauvre.

Incarner quelqu’un d’autre le temps le temps d’une scène, poser le cerveau, l’égo, voilà ce qui, dans mon expérience, donne des scènes naturelles et passionnantes.

Pour certains membres (dont moi) il s’agissait d’une découverte (je suis relativement débutant par rapport à certaines comédiennes du groupe qui font de l’impro depuis plus de 20 ans). Mais nous avons eu la chance de nous accrocher, nous éclater et de pouvoir même toucher aux subtilités des scènes émotionnelles dont je parlais plus tôt.

J’ai la chance d’avoir été dans ce groupe qui a bien fonctionné, qui s’est bien trouvé et soudé. Cela nous a permis d’avancer, nous soutenir et de bien progresser toutes et tous ensemble.

J’en parle au passé car, à l’heure actuelle, je ne sais pas qui composera ce groupe l’année prochaine, si il restera le même. Il est possible que de nouveaux membres, voir des membres d’autres ateliers de l’école viennent se joindre, et que certains membres du groupe actuel le quitte.


Il existe différents formats pour les spectacles d’improvisation.

Notre atelier, cette année, a eu l’occasion de jouer des cabarets (suites de scènes avec un membre de la troupe qui sert de « directeur de scène », indique le nombre de comédiennes/comédiens sur scène, le thème de la scène ainsi que les contraintes.)

Les contraintes sont des instructions qui influencent la façon de jouer (en plus d’improviser les personnages, les situations le tout sur un thème que l’on a découvert quelques secondes à peine auparavant).

Un exemple de contrainte est le « ni oui ni non ».
Les comédiennes et comédiens ne doivent dire ni le mot « oui » ni le mot « non ».

Dès que cela se produit, la personne est remplacée par une autre qui reprend le rôle (personnage, attitude, statut, relation, etc…) là où la scène en était.
Et le public est friand de voir les comédiennes et les comédiens se planter et dire les mots interdits.

Cela donne une énergie et une saveur particulière à ces scènes.

Du coup, il est plus rare, à notre niveau, que ce genre de scènes soient hyper construites voir touchantes ou posées.

Au contraire, il s’agit plus de scènes dynamiques et qui fusent.
Et le public rigole généralement beaucoup à ce genre de jeu et aux réactions des personnages, ainsi que des comédiennes et comédiens lorsque celles et ceux-ci se font « éliminer ».


Un autre type de contrainte est de jouer une scène « à la manière de… » et habituellement il s’agit d’une catégorie de la culture populaire.

Par exemple, on joue une scène à la manière d’un film policier, ou bien à la manière d’un film d’action, ou d’un film d’horreur. On utilise volontairement les clichés et ficelles de ces genres (cinématographiques voir littéraires, ou autres) et on intègre ces éléments à la scène, aux personnages et situations.

Ce genre de contraintes peut permettre des scènes plus construites et travaillées. Si la contrainte est celle d’un film dramatique, on peut potentiellement obtenir des scènes très touchantes.

Et lors du cabaret, on enchaîne donc des scènes avec des contraintes et des thèmes que chacune et chacun a préparé dans son coin et on découvre toutes et tous ensemble sur scène, pour s’amuser ensemble avec et devant le public.


Un autre type de format est le match d’improvisation. Le décorum est celui de deux équipes de 5 à 6 joueuses/joueurs qui s’opposent avec un arbitre en tant que directeur de scène, indiquant les thèmes et les contraintes et ayant à charge le rythme du spectacle.

L’arbitre ayant le rôle de « la loi », il/elle peut être amené à siffler des fautes, qui sont en fait des directives à l’attention des joueurs pour rendre le spectacle le plus facile à jouer pour eux et le plus agréable possible à regarder pour les spectateurs.

Ainsi l’arbitre peut être amené à rappeler que l’écoute est primordiale, qu’il faut essayer de ne pas tourner le dos au public mais lui faire face, et d’autres directives suivant le déroulement du spectacle.

Le public, lui, a des cartons à disposition et vote à la fin de chaque scène pour l’équipe qui a le mieux défendu le thème, selon lui. L’arbitre (avec ses assistants) comptabilise les votes et un maître de cérémonie est là pour ouvrir et fermer le spectacle, le commenter lorsqu’il en est besoin, expliciter les contraintes et déroulement du match et chauffer le public lorsque nécessaire.


Un autre format existant est le « mid » ou le « long » form. C’est à dire une série de scènes improvisées par une troupe de comédiennes et comédiens. Dans ce format, pas de directeur de scène, pas de narrateur, la troupe se débrouille sur scène pour amener les scènes à une fin, effectuer des transitions, donner de la continuité à l’histoire.

Le tout en posant des personnages au début du spectacle et en continuant d’incarner et développer ces personnages pendant les diverses scènes.

Cela peut ressembler beaucoup plus à un spectacle de théâtre classique, dans le sens que l’on suit l’histoire d’un ou plusieurs personnages principaux à travers différents moments et situations.
Mais une fois encore, tout est improvisé.

J’avais été voir le spectacle « Bio » de la compagnie les Eux, qui est un « long form » d’une heure pendant laquelle deux comédiens et une comédienne ont développés l’histoire de Sasha, nom qui pouvait s’appliquer à un homme ou une femme et qui a été proposé par le public en début de spectacle, avant que la troupe ne soit en train de jouer.

Ils ont ensuite incarnés de multiples personnages, tel l’amant de Sasha, la secrétaire médicale du cabinet où il travaille, ses parents, les parents de la secrétaire, le directeur du cabinet qui engage des tueurs à gages pour se débarrasser de Sasha lors d’un voyage en Inde, …

Et d’ailleurs, le personnage de Sasha a fini par être incarné par un comédien « par défaut », lors de la seconde scène, car les deux autres incarnaient déjà des personnages différents.


Il existe encore d’autres formats et il est possible d’en inventer plein. Il faut garder à l’esprit que chaque spectacle d’improvisation théâtrale est unique.

Il n’a jamais été joué auparavant, et il ne sera plus jamais joué.

Les situations spécifiques, les personnages, les relations, les scènes, les combinaisons de comédiennes/comédiens, le public présent à la représentation, l’énergie, tout est unique, dans l’instant.


La pratique de l’improvisation théâtrale est entrée dans ma vie à un moment où j’en avais grandement besoin.

Je vivais une période sombre, de dépression. J’étais coupé de mes ressentis depuis longtemps.

L’atelier d’initiation auquel j’avais participé m’avait fait tellement de bien. Je m’étais amusé comme je ne m’étais pas amusé depuis longtemps. Et en en sortant, je me sentais vivant, avec des émotions et de la chaleur dans ma poitrine et mon cœur.

Cette pratique a contribué dans mon chemin de guérison. Il y a des « règles » de pratique que j’ai trouvé tellement évidentes et applicables à la vie « hors impro »:

  • La responsabilité de la scène est à 50/50
  • Écoute l’autre.
  • C’est OK de se planter, de se tromper, d’être dans l’échec, et c’est même cool.
  • On est tous ensembles dans le même bateau, on fait de notre mieux pour ne pas faire preuve de rudesse les uns envers les autres.
    Écoute l’autre, considère/accepte ses propositions, construis dessus.

Un comédien n’a pas la charge d’amener tous les éléments de la plateforme ou de faire toutes les propositions. C’est à 50%.

Toutes les comédiennes/comédiens impliqués dans la scène ont une responsabilité égale de la scène.

Quand j’ai compris ça, que je l’ai appliqué en jeu, j’ai ressenti un tel soulagement.
Et j’ai même pu commencer à l’appliquer dans mes échanges et relations avec les gens, arrêter de croire que je devais être responsable de tout ce qui était dit ou tout ce qui se produisait dans la vie de tous les jours.


Écouter l’autre, ce qu’il propose, jouer avec, sans chercher à diriger, mener, intellectualiser permet tellement de fluidité, de surprise et de beauté qu’il serait dommage de s’en priver.


N’ai pas peur, propose des choses et prends des risques. « L’échec », c’est avant tout une perspective du cerveau, du mental. De certaines de ces « erreurs », j’ai vu des scènes tellement marrantes émerger, des personnages et des situations tellement incongrues et délicieuses en tant que spectateur.
Elles procuraient également, au final, beaucoup de plaisir aux comédiennes/comédiens même.

Mais il y a également eu des idées géniales. D’un mot écorché, on part sur une idée adjacente et une direction imprévue et tellement joyeuse également !

Et d’une scène qui patauge, on extrait un chef d’œuvre grâce à une erreur de prononciation.

Lors de certaines contraintes telle le « ni oui ni non », on se fait des pièges, on prend des risques.
Le public veut nous voir nous « tromper », alors on joue le jeu.

La tension créée par le défi, le « y arrivera-t-il, y arrivera-t-il pas ? » se retrouve libérée sous forme de gros éclats de rire lorsque un « oui » automatique est exprimé par un comédien qui se rend compte, alors un peu tard, de ce qui vient de se passer.
L’humain n’est pas moqué. C’est la libération de la tension qui déclenche l’émotion et le rire.


On est tous humains, on a tous un cœur et ensemble, en se soutenant et en jouant ensemble, on construit, on avance. On rit, on pleure, on se déchire, on guérit.

Il y a beaucoup de catharsis et de guérison dans le théâtre.
A l’origine, le théâtre dramatique grec était conçu pour justement apporter la catharsis aux spectateurs.

De nos jours, on peut apporter cette catharsis dans l’instant, dans le présent, dans l’improvisation.

Grâce aux énergies des comédiennes et de comédiens, mais également des spectatrices et spectateurs présents qui amènent toutes et tous leurs énergies, leurs bagages, leurs perceptions et leurs besoins.

L’improvisateur, dans de telles circonstances, puise et incarne parmi les énergies présentes lors de ces rassemblements.


La vie est improvisation. Personne ne sait, n’a de certitudes sur ce qui va se passer et advenir.

On avance, ensembles, sur le même bateau cosmique.

Alors autant être à l’écoute, les uns des autres, et se partager la responsabilité.

Je suis responsable à 100% de ce que je fais, de ce que je suis, de ce que j’incarne, mais ma responsabilité de la scène, du monde, est partagée à 50/50 avec chaque être que je rencontre et avec qui j’interagis d’une façon ou d’une autre.

Comme en improvisation théâtrale. Nous sommes tous sur scène.

Au jeu…


A plus tard mon cœur.

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