Du discours de la servitude volontaire

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Salut mon cœur.

Vers 1548, alors qu’il avait 18 ans, Étienne de la Boétie a écrit un manuscrit nommé « Discours de la servitude volontaire ». Étienne était un jeune poète qui se destinait à la fonction de magistrat.

Ce discours défend la thèse que les tyrans obtiennent et restent au pouvoir car leurs soutiens et le peuple acceptent volontairement de se maintenir dans cet état de soumission à leur pouvoir au lieu de revendiquer et vivre la liberté.

L’ouvrage s’appuie abondamment sur la Rome antique à grand renfort d’exemples et d’illustrations, de personnages célèbres et de situations passées.

Et ce qui me frappe, c’est que de nos jours, ce discours et ses exemples restent étrangement d’actualité et peuvent être perçus au sein de notre organisation sociétale.


Dans ce livre, l’auteur oppose la notion de liberté à la tyrannie, à la soumission à un homme.
Pour de la Boétie, les tyrans obtiennent le pouvoir de l’une de trois façons. Par l’élection du peuple, par la force des armes, et enfin par héritage, de par leur naissance.

Mais quelque soit la méthode d’obtention, un tyran reste un tyran et agit avec méchanceté envers le peuple qui lui est soumis.

Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proies, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

Et si le peuple est soumis, si beaucoup ne cherchent même pas à remettre en cause cet état de fait, c’est qu’ils sont nés en servitude. Formés à travers l’enseignement et les agissement de la société autour d’eux, ils ne leur vient même pas à l’idée qu’il puisse en être autrement.

La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

De la Boétie reconnaît alors, la difficulté d’un serf à vouloir goûter et défendre la liberté qu’il n’a jamais connu. De même, dans une anecdote, deux spartiates, pour honorer le meurtre de messagers de Xercès sous le roi Spartiate précédent, s’offrent en servitude à celui-ci.

Cependant, ils n’oublient jamais leur liberté et ne peuvent se résoudre à accepter la vie de servitude, bien que confortable, offerte à eux du moment qu’ils offrent pleine soumission au roi Perse.

Sous les tyrans, les gens deviennent aisément lâches et efféminés.

[…]

Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe.

[…]

Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat.

[…]

Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

Ceci, mis en opposition avec des gens libres, qui se battent ensemble, en groupe, de leur propre choix, de leur propre élan, sachant qu’ils partageront équitablement et également la liberté de la victoire ou la situation de la défaite. Cependant, leur cœur est vaillant, leur courage les fait agir et poser leurs limites et refus à la volonté d’un tyran de les soumettre.


Enfin, Étienne de la Boétie révèle « le secret de la domination », le soutien et le fondement de toute tyrannie.

Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays.
Il en a toujours été ainsi: cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approché d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

Un petit groupe soutien et profite du tyran. Mais ce petit groupe n’est pas à l’abri pour autant des défaveurs de ce dernier. Ce groupe se situe néanmoins dans une position de pouvoir sur le reste de la hiérarchie sous eux et accepte donc la domination du tyran, pour leur propre profit et position personnelle.

En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

La dernière partie du discours se penche sur le sort peu enviable du tyran. Sur le fait qu’il se trouve seul, n’aime personne et ne peut être aimé de personne. Que dans sa situation, toute relation est une relation basée sur le pouvoir, la domination et la convoitise, et qu’il ne peut connaître une amitié sincère par exemple.

Un monde de faux semblants, sans véritables joies ou tristesses, tout en méfiance, derrière un masque. Tel est le sort de ses complices, de ses courtisans qui ne l’apprécieront jamais en tant qu’homme et craindront toujours pour leurs propre position personnelle.

Et enfin, parmi les dernières réflexions de la Boétie :

Il est vraiment plaisant de considérer ce qui leur revient de ce grand tourment, et de voir le bien qu’ils peuvent attendre de leur peine et de leur vie misérable : ce n’est pas le tyran que le peuple accuse du mal qu’il souffre, mais bien ceux qui le gouvernent.

Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

Et cette citation me semble importante. Il ne faut pas croire que le tyran est celui en fonction de gouvernance à la tête du pays.

Les tyrans actuels tirent les ficelles de ce dernier. Il est à leur service, occupé à maintenir sa position, à montrer qu’il est capable de renier son humanité pour appliquer des règles sans cœur sur une population de plus en plus asservie.

Il n’est qu’au service d’une poignée d’individus amasseurs. Il n’est pas le tyran, il n’est qu’un des complices, un des exécuteurs qui profitent de la tyrannie. Sa fonction est d’être en point d’orgue, et de canaliser, de recevoir toutes les haines, mépris et colère que la tyrannie génère au sein de la population.

Ne t’y méprends pas, il n’est qu’une marionnette, une façade.

La tyrannie est bien cachée à l’abri derrière ce pantin exposé à la lumière artificielle des projecteurs médiatiques.


Ce discours de la servitude volontaire est une lecture plutôt intéressante et diablement d’actualité.
Si tu le souhaites, tu peux le télécharger ici au format PDF.

Elle contribue à casser la croyance que le gouvernement est un gentil papa qui veille sur nous.
Elle permet également de s’ouvrir au fonctionnement de notre société, aux principes de dominants/dominés qui la régissent.

Elle peut également permettre de se confronter à la colère et frustration qui peut découler de cette découverte, en prenant du recul.

Une fois que l’on voit les grosses ficelles, et que l’on se rend compte de la pièce de théâtre à laquelle on assiste, on accède à la liberté de pouvoir y répondre tel que l’on entend.


A plus tard mon cœur.

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